Qui accueille quoi ? de l’observateur neutre au soi

Observer, Accueillir, Intégrer

Dans les approches dites thérapeutiques contemporaines, l’idée d’« observer sans juger » est au centre de la méthode pour comprendre et réguler son monde intérieur. De la pleine conscience (MBSR, MBCT, ACT) au Voice Dialogue, en passant par l’Internal Family Systems (IFS), différentes perspectives nous invitent à interroger ce que signifie réellement “observer” et surtout “accueillir”. Mais qui, en nous, observe ? Qui accueille ? Et jusqu’où peut-on aller dans cette intégration ?

L’Observateur neutre

L’Observateur Neutre est au cœur des pratiques de pleine conscience. Il nous apprend à voir nos pensées et émotions comme des phénomènes transitoires, en nous proposant un premier recul afin de tracer les contours des schémas automatiques auxquels nous nous identifions sans les conscientiser.
Dans le MBSR (programme qui vise à réduire le stress) et MBCT (programme qui vise les états dépressifs), La proposition première est d’adopter posture d’observation sans réaction, un entraînement à ne pas être absorbé par le mental.
Dans l’ACT (thérapie par l’acceptation), c’est une version plus engagée, où observer permet d’agir en cohérence avec ses valeurs malgré les pensées et émotions difficiles.
Ces approches modernes rouvent leurs racines dans des traditions anciennes, en particulier le bouddhisme, le stoïcisme, le taoïsme et certaines pratiques contemplatives occidentales.

Limites

Pour certaines personnes, notamment les profils très analytiques ou intellectuels, la posture d’observateur peut être perçue comme une forme de distanciation excessive, voire de froideur face à l’expérience vécue.
L’idée d’observer sans réagir peut, pour certaines personnes, mener à un retrait émotionnel involontaire. Si l’observation devient un mécanisme de défense inconscient (ce qui arrive souvent aux profils très cérébraux (voir HPI) ou aux personnes déjà très dissociées au regard de difficultés qu’elles auraient vécu dans leur vie comme des traumatismes psychologiques), elle risque de couper du ressenti direct. A court terme, ce mécanisme peut être utile  mais peut devenir problématique s’il devient chronique.
Bien que la pleine conscience ne vise pas à se couper de la vie, mais au contraire à être en contact direct avec elle, sans filtre mental excessif, si elle est mal comprise, elle peut être réduite à une technique d’évitement : “J’observe mes émotions, donc je ne les ressens pas pleinement.” ou donner l’impression de ne plus être pleinement incarné, comme si l’on regardait sa propre vie à travers une vitre.

Le Aware Ego ou Ego Conscient

Au-delà des limites soulevées par la posture de l’Observateur Neutre, une question se pose en creux : “Qui prend la décision ?”
Dans l’approche du Voice Dialogue, qui s’inscrit dans le prolongement de la pensée jungienne et du travail sur les archétypes, la psyché est perçue comme un ensemble de sous-personnalités (Self). Selon Hal et Sidra Stone, les fondateurs de cette approche, toute difficulté que nous rencontrons trouve son origine dans une dualité interne.
Nous prenons rarement conscience de ces dualités et, sans le savoir, nous nous identifions à l’une des parties en présence. Une part de moi désire quelque chose, tandis qu’une autre s’oppose à ce désir. Cette dynamique est à l’origine des conflits internes et des choix qui nous semblent impossibles.
Face à cette tension, l’idée n’est pas tant de trancher pour l’un ou l’autre de ces parties (ou voix), mais de trouver un espace où les deux peuvent être entendues et reconnues, sans être confondues avec qui nous sommes (ou pensons être). C’est précisément la proposition du Aware Ego, ou Ego Conscient.

Qu’est-ce que l’Ego Conscient ?

Lorsque nous parlons d’awareness en français, le concept peut sembler flou, voire malmené une des seules référence étant Jean-Claude Van Damme… Pourtant, l’idée sous-jacente est simple : il s’agit d’un état de conscience élargi, une capacité à prendre du recul sans se couper de l’expérience vécue.
Depuis cette posture, nous pouvons nous tenir entre deux polarités, sans être aspiré ni par l’une ni par l’autre. Depuis cette position d’awarness, nous pouvons expérimenter pleinement les deux forces opposées en nous, ressentir la tension de ces parties, plutôt que de chercher à les fuir pour enfin faire un choix conscient, sans chercher à satisfaire les deux parts, mais en acceptant que l’une puisse être déçue.
Dans le Voice Dialogue, le Ego Conscient est donc un processus, une fonction relationnelle entre nos différentes sous-personnalités. Il évolue au fur et à mesure que nous développons la capacité de reconnaître, écouter et dialoguer avec nos différents “moi”. Petit à petit, en se détachant de nos identifications habituelles et en prenant conscience de nos automatismes internes, nous cessons de “réagir” et commençons à “choisir”. Nous ne sommes plus uniquement un “Perfectionniste”, un “Enfant Rebelle” ou un “Penseur Anxieux”, mais celui qui perçoit ces différentes parts et qui peut les accueillir sans leur donner tout le pouvoir.

Avec le temps, l’Ego Conscient prend le rôle de facilitateur, un chef d’orchestre intérieur qui ne cherche pas à dominer ou à contrôler, mais à créer un espace de dialogue respectueux entre les différentes voix qui composent notre psyché, nous permettant de tenir la structure, de naviguer à travers les dynamiques internes avec plus de flexibilité et de maturité.

Le Soi en IFS

L’Internal Family System (IFS) accorde un rôle central aux différentes parties qui composent notre monde intérieur. Contrairement aux approches classiques qui cherchent à supprimer ou à corriger certains comportements, l’IFS considère que toutes nos parts ont une fonction et une intention positive, même lorsqu’elles génèrent de la souffrance. (voir l’IFS)
L’IFS de Richard Schwartz pousse encore plus loin la démarche amorcée par d’autres modèles comme la pleine conscience ou le Voice Dialogue. Il fait en effet un pas radical en affirmant qu’au-delà de nos parts fragmentées, il existe en nous une instance qui sait mieux que nous, une fonction naturelle d’auto-guérison qui est présente en chacun. Cette instance, il l’appelle le Soi.
Le Soi en IFS est un état d’être naturel et inhérent, qui n’a pas besoin d’être “développé” mais simplement révélé.
On pourrait considérer l’IFS comme une approche qui touche au transpersonnel, dans la mesure où le Soi va au-delà du personnel, mais Schwartz ne l’ancre pas explicitement dans une tradition spirituelle. Il se positionne à la frontière entre psychothérapie et exploration de la conscience, sans imposer de cadre religieux ou ésotérique.
Cette idée de transcender le moi se retrouve dans toutes les traditions spirituelles (bouddhisme, soufisme, mystique chrétienne), mais elle ne peut pas être immédiatement accessible à tous. C’est pourquoi l’IFS ne force pas la transcendance, mais l’introduit progressivement comme une expérience vécue, en permettant à chacun d’approcher le Soi à son propre rythme.

Les 8C ou les 8 caractéristiques fondamentales du SOI

Aussi pour tendre vers le soi Schwartz a défini 8 caractéristiques fondamentales, appelées les 8 C du Soi :

1. Calme (Calm) : Une sérénité intérieure qui permet d’aborder ses parts sans être submergé.
2. Clarté (Clarity) : Une vision lucide de son monde intérieur, sans jugement ni confusion.
3. Compassion (Compassion) : Une bienveillance naturelle envers toutes ses parts, même celles qui nous font souffrir.
4. Confiance (Confidence) : Une foi en la capacité du Soi à guider et à guérir.
5. Courage (Courage) : L’audace d’affronter ses blessures et d’aller vers l’inconnu.
6. Créativité (Creativity) : Une capacité à imaginer de nouvelles réponses et à sortir des schémas répétitifs.
7. Curiosité (Curiosity) : Une ouverture authentique envers ce qui se passe en soi, sans rejet ni peur.
8. Connexion (Connectedness) : Un sentiment d’unité avec soi-même et avec les autres.

Là où d’autres approches visent à gérer ou à modifier nos parties, l’IFS cherche avant tout à restaurer un dialogue bienveillant entre elles, sous la guidance du Soi.

Plutôt que d’être simplement un arbitre entre les parts, comme dans le Voice Dialogue, le Soi devient un leadership intérieur naturel qui réintègre ces parts avec compassion.

Une Évolution Progressive

Nous travaillons régulièrement en séance dans ce sens : trouver une posture qui vous convient pour être mieux en capacité à observer, mieux être en capacité à accueillir, et prendre les décisions qui vous semblent être les meilleures pour vous.